" Onze heures cinq, le Boeing 777-200 de la compagnie Air Austral se pose en souplesse sur la piste de l’aéroport
calédonien de la Tontouta au grand soulagement de Louis qui n’en peut plus. Trente heures de vol, trente fois il a cru mourir. Il est démoralisé à l’idée de décoller à nouveau le lendemain pour
la plus grande des îles Loyauté, Lifou.
Les parisiens descendent la rampe de l’escalier qui mène au tarmac. Premières sensations, la chaleur et l’humidité.
Elles sont saisissantes. Un sauna en plein air. En février, c’est l’été austral. Hier -5, aujourd’hui 40. Choc thermique. Louis a l’allure d’un inuit défraîchi sous les Tropiques. La sueur suinte
par tous ses pores dilatés. Les corps se liquéfient. En quelques secondes, les chemises sont trempées. Les rétines se rétrécissent illico sous l’effet de la lumière vive. Dégoulinants, ils
s’acheminent lourdement vers les postes de contrôle de la Police de l’Air et des Frontières.
La sortie des passagers s’effectue au rythme de la récupération des bagages. Au compte-gouttes. Les parisiens se
sentent comme des stars sur le célèbre tapis rouge du festival de Cannes, lorsque, les valises à la main, ils suivent le couloir balisé de barrières métalliques derrière lesquelles une foule
s’impatiente. Premier contact avec la population locale. Des visages noirs, blancs ou métissés scrutent les voyageurs, le parent, l’ami attendu.
Eux, personne ne les attend.
Ils embarquent dans un minibus à destination de Nouméa. La Route Territoriale 1
file à travers la savane à niaoulis. Lucas prend au passage des clichés de ces arbres aux troncs argentés qui colonisent les pentes douces des collines. Les stations, fermes d’élevage, sont
dispersées dans ces grands espaces. C’est le pays des stockmen. En connaisseur, Louis jauge et admire les bovins à la robe brune ou blonde qui paissent dans les graminées jaunies par le soleil.
En un clin d’œil, limousins et charolais sont dépecés, désossés, filets, steaks et rôtis tirés.
La navette franchit le col de La Pirogue au dire du conducteur. Joli nom qui sonne exotique à leurs oreilles. Mais
c’est plutôt des gros 4X4 qu’ils croisent de plus en plus souvent, au fur et à mesure que la campagne laisse place à l’urbanisation, aux lotissements en tout genre.
Péage de la savexpress, dernière ligne droite avant Nouméa. Ils y entrent en
longeant la zone industrielle de Ducos et ce n’est pas folichon. Grandes enseignes commerciales, panneaux publicitaires à gogo, échangeurs routiers, usines diverses. Kronenbourg, Coca-Cola.
Monstrueux réservoirs de fuel, amoncellements grisâtres de scorie. Et, dans toute sa grandeur, à l’entrée de la ville, la fonderie de minerai. La Société Le Nickel déploie son enchevêtrement de
ferraille, et ses hauts fourneaux fumants. Exhalaisons rougeâtres dans le ciel bleu azur.
Bouquet final de containers, de grues, de cargos du port autonome auquel succède la gare maritime. Le Pacific
Dawn est amarré là. Christine, fleur bleue, se prend à rêver d’une traversée en mer avec son amoureux sur le magnifique paquebot australien qui déverse ses croisiéristes dans la ville. Le
voilier de Thibault est une coquille de noix de neuf mètres."
Swing à Lifou, chapitre 1, première partie